Quelle est la manière dominante actuelle de lutter contre l’insécurité alimentaire au Canada?

Depuis les années 1980, les gouvernements ont choisi de désinvestir dans les politiques sociales et l’aide sociale et ont systématiquement privilégié le modèle caritatif pour lutter contre la faim1. Le modèle caritatif fait généralement référence au recours aux dons alimentaires faits par des particuliers à des organisations locales telles que les banques alimentaires et les églises, qui redistribuent ensuite ces dons aux gens. La hausse du coût de la nourriture ainsi que celle du coût de la vie pendant ces dernières années ont entraîné une diminution des dons. Bien que les gouvernements aient investi de manière significative dans l’aide à ces groupes pendant la pandémie, beaucoup de ces fonds sont désormais épuisés ou insuffisants pour maintenir le modèle caritatif. Il est nécessaire de modifier la manière dont l’insécurité alimentaire est actuellement abordée, car des décennies de recherche démontrent clairement que l’insécurité alimentaire ne sera pas résolue par la charité et les banques alimentaires2.

Quelles sont les limites de l’approche caritative pour lutter contre l’insécurité alimentaire? Pourquoi est-ce insuffisant et problématique?

L’approche caritative pour lutter contre l’insécurité alimentaire présente de nombreuses limites. Les aliments distribués par les banques alimentaires et autres groupes qui distribuent de la nourriture (par exemple les églises) ne peuvent pas toujours répondre aux besoins de la personne en situation d’insécurité alimentaire. Par exemple, la nourriture distribuée peut ne pas être adaptée à la situation culturelle ou médicale de la personne. Une autre limite est que les banques alimentaires sont souvent fortement stigmatisées, ce qui, selon Banques alimentaires Canada3, peut provenir de l’individualisme et des idéaux d’autosuffisance qui imprègnent nos sociétés occidentales contemporaines. Ces idéaux nous laissent croire que quiconque fait des efforts peut « réussir » dans la vie, et donc être autonome et autosuffisant. Cette perspective rejette le fait que tout le monde n’a pas accès à l’égalité des chances. Par exemple, des recherches montrent que certains groupes (racisés, autochtones, immigrants/réfugiés, femmes/mères célibataires) sont de manière récurrente plus touchés par l’insécurité alimentaire que d’autres4. Des recherches récentes révèlent également que des individus peuvent avoir un emploi sans toutefois disposer d’un revenu suffisant pour répondre à leurs besoins fondamentaux. Ces exemples démontrent que l’insécurité alimentaire a bien plus à voir avec les inégalités systémiques et la discrimination qu’avec le fait que les individus ne font pas les bons « choix » de vie. Pourtant, le modèle de la charité alimentaire et les débats autour de l’insécurité alimentaire sont encore marqués par la stigmatisation et l’idée que l’insécurité alimentaire est ultimement causée par des choix et des responsabilités individuels. Cette perspective problématique ouvre la porte au type de réponses, basés sur le recours à la charité, que les gouvernements adoptent en ce moment pour lutter contre ce problème5. C’est pourquoi il est nécessaire de changer le discours sur l’insécurité alimentaire et la responsabilité individuelle. Les individus ne peuvent pas simplement faire de « meilleurs choix » pour se sortir de l’insécurité alimentaire alors que le problème a des racines profondément systémiques et structurelles.

Qu’entendons-nous par « nous devons lutter contre l’insécurité alimentaire avec des solutions systémiques et structurelles »?

Comme mentionné ci-dessus, l’insécurité alimentaire touche certains groupes plus que d’autres, ce qui démontre qu’elle est bien plus liée aux inégalités systémiques et aux processus de discrimination qu’à la responsabilité individuelle. Ceux qui vivent ou sont beaucoup plus susceptibles de vivre l’insécurité alimentaire sont le reflet des inégalités sociales et économiques qui existent au Canada.

Bien que les mots « systémique » et « structurel » soient souvent utilisés de manière interchangeable, ils peuvent être considérés comme des concepts complémentaires. Le mot « systémique » met l’accent sur les systèmes généraux développés dans nos sociétés tels que les systèmes économiques, politiques et juridiques. Ces systèmes intègrent des manières de faire, des idées qui sont naturalisées, considérées comme allant de soi. Ce sont ce que nous pouvons appeler des « préconçus culturels ». Nous avons tendance à oublier que la façon dont nous développons les systèmes qui régimentent nos sociétés est imprégnée de ces idées. D’autre part, le mot « structurel » met l’accent sur les politiques, les pratiques et autres formes de structures qui soutiennent et façonnent les systèmes mis en place dans nos sociétés. Comme ces systèmes, ils intègrent des idées ou préconçus culturels qui renforcent certaines formes d’iniquité.

Lorsque nous parlons d’inégalité systémique, nous faisons référence à la manière dont nos systèmes ou les structures qui les constituent créent ou renforcent les processus de discrimination ou de marginalisation qui affectent davantage certains groupes sociaux. Par exemple, les recherches analysant les causes de l’insécurité alimentaire au sein des communautés autochtones identifient les impacts à long terme du colonialisme et le développement de politiques coloniales qui ont restreint et restreignent parfois encore l’accès aux aliments et aux modes d’alimentation traditionnels6. Sachant que les communautés autochtones ont été et sont toujours affectées par le colonialisme et les politiques coloniales, ce qui a un impact sur l’apparition croissante de l’insécurité alimentaire dans ces communautés, nous ne pouvons pas logiquement traiter l’insécurité alimentaire comme quelque chose qui pourrait être résolu par des solutions temporaires telles que ce qu’offre le modèle caritatif alimentaire. L’insécurité alimentaire est liée à un problème systémique beaucoup plus profondément enraciné et, à ce titre, nécessite des solutions systémiques/structurelles pour y remédier de manière plus juste et plus durable.

Lorsque les groupes présents à notre événement plaident pour « lutter contre l’insécurité alimentaire avec des solutions systémiques et structurelles », ils soulignent que nous devons développer des solutions qui prennent en compte et répondent directement aux échecs de nos systèmes et structures en offrant des chances égales à tous.

Consultez les propositions systémiques/structurelles formulées par les groupes en vedette dans le contexte de cet événement.

Quel est le lien entre le changement climatique et l’insécurité alimentaire?

Le panel intergouvernemental sur les changements climatiques7 a observé que les changements climatiques ont déjà un impact sur la sécurité alimentaire. Par exemple, la diminution des réserves d’eau due aux changements climatiques a un impact sur la production agricole et la fréquence accrue des événements météorologiques extrêmes entraînent de faibles rendements agricoles. À mesure que la production agricole est affectée négativement par le changement climatique, le coût des denrées alimentaires, déjà en hausse, devrait encore augmenter. Snook et al.8 (2022) suggèrent que le changement climatique a également un impact sur la disponibilité d’aliments de haute qualité. À mesure que la disponibilité d’agriculture et d’élevage de haute qualité diminue, les individus sont obligés de cultiver et de sélectionner des cultures de moindre qualité, ce qui a un impact sur la nutrition et la santé.

Beaucoup de ces effets se font particulièrement ressentir actuellement dans les communautés autochtones du Nord du Canada. Par exemple, la pénurie alimentaire et la hausse du coût des aliments qui en résulte auront un impact important sur les communautés autochtones du Nord, où les prix alimentaires ont historiquement toujours été plus élevés. Une étude menée en 2015 a révélé que, en comparant les prix mensuels de l’épicerie pour une famille de quatre personnes à Toronto et à Attawapiskat, une réserve des Premières Nations du Nord de l’Ontario, le coût moyen était de 847 $ à Toronto et de 1 909 $ à Attawapiskat9. On peut imaginer qu’à mesure que les prix des aliments augmentent en raison du changement climatique, les communautés autochtones connaîtront des hausses des prix alimentaires encore plus élevées que dans des endroits comme Toronto.

Les changements climatiques ont également un impact sur les pratiques alimentaires culturelles telles que le choix et le partage des aliments. Par exemple, les aliments traditionnellement cultivés par des peuples autochtones du Nord ont été gravement affectés par les changements qui affectent le calendrier agricole, comme les hivers plus froids et la fonte irrégulière de la neige au printemps10. Les conditions météorologiques imprévisibles ont non seulement un impact sur les cultures et la disponibilité des plantes comestibles, mais aussi sur l’accès des populations locales à certaines zones de chasse, de pêche et de cueillette traditionnelles. Par exemple, les niveaux changeants de la glace dans la mer affectent les espèces d’animaux disponibles pour la chasse et la pêche11.

1 De Souza, R. (2019). Feeding the other: Whiteness, privilege, and neoliberal stigma in food pantries. Massachusetts: MIT Press.; Poppendieck, J. (1998). Sweet charity?: Emergency food and the end of entitlement. Viking; Tarasuk, V., Dachner, N., & Loopstra, R. (2014). Food banks, welfare, and food insecurity in Canada. British Food Journal, 116(9), 1405–1417.; Tarasuk, V., Dachner, N., & Loopstra, R. (2014). Food banks, welfare, and food insecurity in Canada. British Food Journal, 116(9), 1405–1417.

2 Dachner, N., & Tarasuk, V. (2017). Origins and Consequences of and Responses to Food Insecurity in Canada. In M. Koc̦, A. Winson, & J. M. Sumner (Eds.), Critical perspectives in food studies (2nd edition). Oxford University Press; PROOF 2023a; 2023b; Rideout, K. et al. (2007). Bringing home the right to food in Canada: Challenges and possibilities for achieving food security. Public Health Nutrition, 10(6), 566–573; Tarasuk, V., Fafard St-Germain, A.-A., & Loopstra, R. (2020). The Relationship Between Food Banks and Food Insecurity: Insights from Canada. Voluntas (Manchester, England), 31(5), 841–852.

3 Food Banks Canada. (2024). Addressing the stigma that prevents many people from accessing food banks. https://foodbankscanada.ca/addressing-the-stigma-that-prevents-many-people-from-accessing-food-banks/

4 Dhunna, S., & Tarasuk, V. (2021). Black–white racial disparities in household food insecurity from 2005 to 2014, Canada. Canadian Journal of Public Health, 112(5), 888–902; Fournier, F. (2022). La faim justifie des moyens. S’engager à réduire durablement et à prévenir l’insécurité alimentaire des ménages au Québec. Observatoire des inégalités. https://cdn.ca.yapla.com/company/CPYMZxfbWTbVKVvSt3IBEClc/asset/files/La-faim-justifie-des-moyens.pdf; Li, P. (2021). When it comes to tackling food insecurity, tackling anti-Black racism is an important part of the puzzle. PROOF. https://proof.utoronto.ca/2021/anti-black-racism/; Matheson, J. A., & McIntyre, L. (2014). Women respondents report higher household food insecurity than do men in similar Canadian households. Public Health Nutrition, 17(1), 40–48; PROOF. (n.d.). Indigenous Food Insecurity. https://proof.utoronto.ca/resources/indigenous-food-insecurity/.

5 De Souza, 2019; Pollard, C. M., & Booth, S. (2019). Food Insecurity and Hunger in Rich Countries—It Is Time for Action against Inequality. International Journal of Environmental Research and Public Health, 16(10).

6 Ahmed, F. et al. (2023). Indigenous Land-Based Approaches to Well-Being: The Niska (Goose) Harvesting Program in Subarctic Ontario, Canada. International Journal of Environmental Research and Public Health, 20(4), 3686.; Co-operative Housing Federation of BC. (2022). Environmental Racism & Our Food System. CHF BChttps://www.chf.bc.ca/sustainability-newsletters/environmental-racism-food-system/; Liboiron, M. (2021). Pollution Is Colonialism. Durham: Duke University Press.

7 Intergovernmental Panel on Climate Change. (n.d.). Special Report: Climate Change and Land. https://www.ipcc.ch/srccl/

8 Snook, J., Harper, S., Perrin, A., Balasubramaniam, A., Alisauskas, R., Basterfield, M., Gruben, C., Brammer, J., Furgal, C., Henri, D., Ignace, L., Kutz, S., Ljubicic, G., Nanook, K., Ndeloh, D., Peacock, S., Wesche, S. and Park, B. 2022. Understanding the effects of climate change on food security in northern Indigenous communities. Polar Knowledge: Aqhaliat Report, Volume 4, Polar Knowledge Canada, p. 106–126. DOI: 10.35298/pkc.2021.05.eng

9 Puzic, S. (2016). $10 for bag of potatoes: Northern Ont. aboriginals spend more than half of income on food. CTV News. https://www.ctvnews.ca/canada/10-for-bag-of-potatoes-northern-ont-aboriginals-spend-more-than-half-of-income-on-food-1.3068160

10 Polar Knowledge Canada. https://www.canada.ca/en/polar-knowledge/publications/aqhaliat/volume-4/climate-change.html

11 Polar Knowledge Canada. https://www.canada.ca/en/polar-knowledge/publications/aqhaliat/volume-4/climate-change.html