Robert Fournier: Une évolution probable de la communication humaine. Un documentaire. ©2017

Perspectives

Les pages précédentes nous ont conduit à travers une brève excursion sur l’origine de la communication humaine, son fonctionnement, ses limites, et enfin sa probable évolution. Ce texte a été construit dans l’esprit de fournir au lecteur un documentaire sur cette vaste question, et sur quantités de dimensions à pendre en compte pour l’examiner plus avant.

Il nous reste encore quelques perspectives à examiner, identifiées ici et là au cours des chapitres précédents.

En essayant au cours du 20e siècle de comprendre le fonctionnement interne de l’atome, les physiciens ont ouvert la voie à un nouveau paradigme scientifique: la mécanique quantique, ou plus couramment la physique quantique. Cela ne s’est pas produit sans heurts[1][2]; par exemple, jugeant la description donnée par la mécanique quantique comme étant essentiellement incomplète, Einstein se moquait des “forces vaudou” et des “interactions” farfelues de Niels Bohr. «Il est apparemment difficile de voir quelles cartes le Tout-Puissant tient en main, écrivait-il. Mais je ne croirai pas une seule minute qu’il lance les dés ou se sert de procédés “télépathiques” (comme voudrait le faire accroire la théorie des quanta actuelle)»[3]. S’adressant à Max Born, il lui écrit: «la physique devrait représenter la réalité dans le temps et l’espace, dépourvue de toute action fantaisiste à distance»[4].

Très bien!

Dans leur quête, les physiciens ont par la même occasion rencontré dans cette nouvelle théorie énigmatique un concept philosophique plutôt difficile à cerner: la conscience[5]. Les phénomènes quantiques expérimentaux, et la théorie quantique qui les explique ne sont pas contestés; son interprétation cependant est chaudement controversée. Mais toute interprétation de la physique quantique, selon Rosenblum & Kuttner (2011), implique une exploration de la conscience.

Depuis que les expériences du théorème de Bell ont établi l’existence d’intrications à distance, l’intérêt dans les fondements et les mystères de la physique quantique s’est accéléré. Au cours des dernières décennies, physiciens, philosophes, ingénieurs en informatique, chercheurs en sciences cognitives, biologistes, ont passablement élargi notre compréhension de la signification des phénomènes quantiques.

Et parmi ces phénomènes qui nous intéressent plus particulièrement ici est celui de la téléportation quantique à laquelle j’ai plusieurs fois fait référence dans ce texte.

Nous avons maintenant une base heuristique solide pour appuyer scientifiquement la communication de creveau à cerveau, communément appelée télépathie. J’exclus ce mode soit-disant télépathique, telles toutes ces expériences qui se font depuis quelques années au moyen d’interfaces numériques. Par exemple, une équipe de chercheurs de la firme de robotique et de neurosciences Starlab à Barcelone, associés à d’autres chercheurs de la société française Axilum Robotics, affirment avoir transmis un message mental simple entre deux personnes séparées par plus de 8000 kilomètres[6]. Un des sujets en Inde porte des électrodes sur la tête transmettant via internet ses activités cérébrales sous formes d’électroencéphalogrammes, alors qu’il pense à des messages très simples comme “bonjour” ou “salut”. L’ordinateur convertit ces impulsions électriques en code binaire, le langage machine, avant de les envoyer à un autre ordinateur qui les transmet au cerveau d’une autre personne en France sous forme de flash lumineux, expliquent ces scientifiques. Le sujet ne pouvait ni entendre ni voir les mots eux-mêmes mais a été capable d’interpréter les signaux lumineux pour saisir le message. Cela reviendrait à transmettre un message par télépathie, prétendent les chercheurs. Les médias du monde entier, dans leur carnet scientifique ou à la une, n’ont pas cessé de relayer l’expérience tout au long de 2014, avec des titres tous aussi accrocheurs et sensationalistes les uns que les autres, dans toutes les langues d’un bout à l’autre de la Planète: Científicos logran una conexión directa entre mentes[7]“Moi!” sanoi aivo aivolle – maailman ensimmäinen “telepaattinen” viesti kulki netin läpi[8];Ученые переслали сообщение из одного мозга в другой[9]La télépathie entre humains : on s’en rapproche[10]We know what you’re thinking: Scientists test brain-to-brain communication[11]“Hola”, el primer saludo mediante ‘telepatía’ a miles de kilómetros[12]; etc., etc. Dans son édition en ligne du 15 sept. 2017, sous le titre Which weird science stories have proved to be a hit on social media? le The Telegraph rapporte que cette nouvelle fait partie des dix articles à sensation les plus populaires et les plus partagés sur les réseaux sociaux au cours de l’année, … à côté de la préférence de James Bond pour la fabrication de ses cocktails, et une autre histoire à propos des chiens sensibles au champ magnétique terrestre[13].

Difficile de passer inapeçu!

De quoi remettre à la mode la recherche sur cette vieille idée, développée sur le mode expérimental en parapsychologie par la Society for Psychical Research, et présentée la première fois en 1886 dans un ouvrage intitulé Phantasms of the Living[14]. La paternité du terme télépathieest souvent attribuée à F. W. H. Myers, parapsychologue britannique, co-auteur de cet ouvrage et fondateur de ladite société en 1882. Mais comme toutes les recherches associées de près ou de loin à la parapsychologie sont en général discréditées par le monde scientifique, le travail monumental de Gurney, Myers & Podmore n’a pas reçu beaucoup d’intérêt et est vite passé à l’oubli; mais, pas tout à fait tout de même, puisque L. Marillier en a fait une traduction abrégée en 1892, sous le titre Les hallucinations télépathiques (Paris: F. Alcan).

Pour plusieurs, la technologie requise pour mettre en place une forme de télépathie technologiquement assistée est à notre portée, et même déjà là. On la nomme aussi techlépathietélépathie synthétique et psychotronique. Kevin Warwick, alors chercheur en cybernetique à l’Université de Reading en Angleterre, et maintenant à Coventry, est l’un des chefs de file de cette approche. Il a déjà prédit qu’il serait possible à partir de 2015 de greffer une puce électronique au cerveau, pour nous permettre de communiquer à distance, y compris via l’internet, par la simple transmission de pensée[15]. Il soutient que, grâce à des implants, la télépathie deviendra le mode privilégié de communication entre les humains, au cours du 21e siècle[16].

De manière plus sérieuse, le cybernéticien entrevoit trois phases dans l’avènement de notre espèce télépathique. La première génération d’outils télépathiques fera appel à la reconnaissance subvocale, i.e. une forme de langage non articulé, où la communication circulera dans une seule direction, un peu comme dans une conversation normale. La NASA et l’Armée américaine travaillent déjà à cette technologie, qui consiste à capter les signaux nerveux émis par les cordes vocales et à les convertir en données informatisées pour les transmettre ensuite par Internet. Les travaux de Chuck Jorgensen du Laboratoire de recherche Ames de la NASA à l’Université Stanford vont dans ce sens[17].

La seconde phase entrevue par Warwick implique aussi une transmission unidirectionnelle, mais cette fois ce sera la conscience, là où pour lui siège le langage, qui sera transmise plutôt que la parole sous-vocalisée.

Enfin, la troisième phase qui fera de nous de véritables êtres télépathiques complets impliquera vraisemblablement la transmission fluide bi-directionnelle de notre conscience et de nos émotions à un ou plusieurs récepteurs; en d’autres mots, augure-t-il, la télépathie en son sens véritable. Transmission de nos pensées et de nos émotions donc! Ce qui est le plus étonnant dans cette prédiction, c’est le médium envisagé, quand en conclusion le visionnaire déclare: “It is highly probable that the medium of exchange for such communication will be the Internet, or its future form[18], the global mind or Noosophere [sic]”[19].

Faut-il encore parler de médium après Internet quand on évoque le cerveau planétaire et la noösphère?

Voilà exactement là où je voulais conduire le lecteur dans ce texte. Tout comme Kevin Warwick, je crois que la communication entre les humains deviendra essentiellement télépathique, au courant du 21e siècle; mais ce sera une télépathie assistée par la technologie. Tous les grands laboratoires de recherche en communication sont en ce moment à pied d’oeuvre, afin que cela se réalise pleinement avant la fin de ce siècle.

Mais une fois que nous aurons franchi cette étape, et que nous serons passés dans une ère post-technologique où nos téléphones cellulaires implantés et l’Internet quantique seront devenus des gadgets archaïques des siècles précédents, si entre-temps nous ne sommes pas tous devenus des humains “améliorés”, des cyborgs ou autres robots androïdes[20], s’ouvrira pour l’Humanité une ère de nappe pensante, comme l’avait imaginée Teilhard de Chardin, agissant sur toute la surface du globe, une noösphère, où nos pensées et nos émotions pourront circuler librement et volontairement d’un esprit à l’autre, en toute fluidité. Un affranchissement total par conséquent de notre système de communication primitif: articulateurs vocaux, appareil phonatoire comme appareil acoustique.

Though the details are therefore obscure, we can nevertheless be sure about the general direction of history. In the twenty-first century, the third big project of humankind will be to […] upgrade Homo sapiens into Homo deus. Throughout history most gods were believed to enjoy not omnipotence but rather specific super-abilities such as the ability to design and create living beings; to transform their own bodies; to control the environment and the weather; to read minds and to communicate at a distance; to travel at very high speeds; and of course to escape death and live indefinitely.
Humans are in the business of acquiring all these abilities. (Harari (2017:53-54)[21]

[1] Pharabod, J.-P. & G. Klein.  2017.  Heurs et malheurs de la physique quantique. Des vérités incroyables. Paris: Odile Jacob.

[2] Kumar, M.  2008.  Quantum: Einstein, Bohr, and the Great Debate About the Nature of Reality. Icon Books.

[3] Lettre d’Albert Einstein à Cornelius Lanczos, 21 mars 1942 (Fölsing, A.  1997.  Albert Einstein: A Biography, 699. Londres: Viking).

[4] Born, M. 2005.  The Born-Einstein Letters 1916-1955: Friendship, Politics and Physics in Uncertain Times, 155. New York: Macmillan.

[5] Rosenblum, B. & F. Kuttner.  2011.  Quantum Enigma. Physics encounters Consciousness, 2nd Edition. Oxford University Press.

[6] Grau C, Ginhoux R, Riera A, Nguyen TL, Chauvat H, et al.  2014.  Conscious Brain-to-Brain Communication in Humans Using Non-Invasive Technologies. PLoS ONE 9(8): e105225. doi:10.1371/journal.pone.0105225.

[7] https://www.fayerwayer.com/2014/08/cientificos-logran-una-conexion-directa-entre-mentes/

[8] http://www.is.fi/digitoday/art-2000000799988.html

[9] http://www.vesti.ru/doc.html?id=1936734

[10] https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/la-telepathie-entre-humains-on-s-en-rapproche_19082

[11] http://www.foxnews.com/tech/2014/09/08/researchers-facilitate-brain-to-brain-communication.html

[12] https://elpais.com/elpais/2014/09/26/ciencia/1411741785_506591.html

[13] http://www.telegraph.co.uk/news/science/science-news/11281171/Which-weird-science-stories-have-proved-to-be-a-hit-on-social-media.html

[14] Gurney, E, F. W. H. Myers & F. Podmore.  1886.  Phantasms of the Living. Volume II. London: Rooms of the Society for Pscychical Research. Ludgate Hill: Trübner & Co.

[15] http://www.internetactu.net/2004/01/27/puce-dans-le-cerveau-la-tlpathie-en-ligne-de-mire/

[16]http://news.bbc.co.uk/hi/english/static/special_report/1999/12/99/back_to_the_future/kevin_warwick.stm

[17] https://www.nasa.gov/home/hqnews/2004/mar/HQ_04093_subvocal_speech.html

[18] C’est moi qui souligne.

[19] Dvorsky, G.  2004.  Evolving towards telepathy. Demand for increasingly powerful communications technology points to our future as a “techlepathic species:http://www.21stcenturyradio.com/articles/05/0103318.html

[20] Pour un point de vue éthique mais plutôt alarmiste sur cette question, voir Zdravkora, K.  2017.  Who will rule the world in the future? Can new technologies dramatically change humanity as we know it?  https://www.orbit-rri.org/journal/volume-one/issue-1/will-rule-world-future-can-new-technologies-dramatically-change-humanity-know/

[21] Harari, Y. N.  2017.  Homo Deus. A brief history of Tomorrow. London: Vintage.