En tant que chercheurs à l’Université Carleton, nous nous intéressons au développement des habiletés d’orthographe chez les élèves du primaire. Nous avons mené une étude auprès d’élèves de 2e et de 4e année l’automne dernier et nous voulons partager les résultats de cette étude avec vous.
But de l’étude
Le but de notre étude était d’examiner comment les élèves du primaire s’y prennent pour épeler des mots qui contiennent des lettres muettes (par exemple, foulard). Nous avions deux objectifs précis : (1) examiner si certains mots sont plus difficiles que d’autres et (2) examiner si les habiletés de langage des élèves sont reliés aux habiletés d’orthographe.
Plan de l’étude
Nous avons demandé à 57 élèves de 2e et 57 élèves de 4e année d’épeler 50 mots. Nous avions obtenu la permission écrite des parents de tous les élèves qui ont participé. Les élèves étaient tous francophones et allaient à l’école en français. Les mots étaient divisé en trois catégories: (1) des mots ne contenant pas de lettres muettes (par ex., tiroir), (2) des mots contenant des lettres muettes dérivables (par ex., bavard), et (3) des mots contenant des lettres muettes indérivables (par ex., foulard). De plus, nous avons mesuré les habitudes de lecture des élèves et leur vocabulaire. Enfin, nous avons aussi mesuré deux autres habiletés, soit les connaissances phonémiques et morphémiques. D’une part, les habiletés phonémiques des enfants leur permettent de manipuler les sons, appelé phonèmes, à l’intérieur des mots. Pour mesurer ces habiletés, nous demandons aux élèves de déduire quel mot il reste si on enlève un son à un autre mot. Par exemple, que reste-t-il si on enlève le son /p/ à sport? Des études précédentes ont démontré que les enfants ayant de meilleures habiletés phonémiques ont aussi de meilleures habiletés en lecture. Notre objectif était de démontrer que ces habiletés sont aussi reliées à l’orthographe. D’autres part, les habiletés morphémiques des enfants leur permettent de mieux comprendre les liens entre les mots dérivés. Pour mesurer ces habiletés, nous demandons aux élèves de déduire des mots dérivés. Nous leur donnons un exemple contenant une paire de mots et leur donnons le premier mot d’une deuxième paire. Les élèves doivent déduire le mot manquant. Par exemple, nous donnons la paire danse: danser et le mot saut: . L’enfant doit déduire le mot manquant, soit sauter. Notre étude sera la première à démontrer que les habiletés morphémiques sont reliées aux habiletés d’orthographe chez les petits francophones.
Résulats: Degré de difficulté entre les mots
Nous pensions que les mots pour lesquels il est possible d’obtenir des dérivés seraient plus faciles que les mots pour lesquels il n’est pas possible d’obtenir de dérivés. Ainsi, il serait plus facile d’épeler correctement des mots comme bavard (bavarde) et retard (retarder) parce que l’enfant peut déduire la lettre muette à partir des dérivés. De même, il serait plus difficile d’épeler correctement des mots comme foulard parce que l’enfant ne peut obtenir la lettre muette qu’en l’apprenant par coeur. Évidemment, les mots ne contenant pas de lettres muettes seraient les plus faciles à maîtriser.
Les résultats confirment notre hypothèse. Les mots sans lettres muettes sont les plus faciles (55% de ces mots étaient épelés correctement), les mots ayant une lettre muette dérivable sont d’un niveau intermédiaire (36% de ces mots étaient épelés correctement), et les mots ayant une lettre muette indérivable sont les plus difficiles (26% de ces mots étaient épelés correctement). De plus, il y avait des différences entre les mots ayant une lettre muette dérivable. Ainsi, les mots que l’on peut mettre au féminin (par ex., bavard et bavarde) sont plus facile que les mots ayant des dérivés plus obscurs (par ex., retard et retarder, fusil et fusiller).
Les erreurs les plus fréquentes pour les mots sans lettres muettes étaient l’ajout d’un e à la fin du mot (par ex., tiroire) tandis que l’erreur la plus fréquente pour les mots avec lettres muettes était l’omission de la lettre muette (par ex., bavar ou foular).
La performance des élèves de 4e (52% des mots étaient épelés correctement) était supérieure à celle des élèves de 2e (24% des mots étaient épelés correctement). Cependant, le degré de difficulté entre les mots était le même aux deux niveaux scolaires.
Résulats : Rôle du langage dans le développement de l’orthographe
Nous voulions examiner les différences individuelles entre les élèves dans l’épellation de mots avec lettres muettes. Pour ce faire, nous avons mené des analyses très conservatrices qui nous ont permis de contrôler pour un ensemble de facteurs importants. Ainsi, nous avons contrôlé les différences entre les niveaux scolaires, les habitudes de lecture, les habiletés d’orthographe de mots sans lettres muettes et le vocabulaire des enfants. Après avoir effectué tous ces contrôles, nous trouvons que les habiletés phonémiques et les habiletés morphémiques permettent d’expliquer les différences entre les élèves. En d’autres mots, les élèves qui avaient de meilleures habiletés phonémiques et morphémiques avaient plus de faciliter à épeler les mots avec lettres muettes. Ces résultats démontrent que des aspects très précis du langage des élèves jouent un rôle important dans l’apprentissage de l’orthographe.
Nous croyons que ces résultats seront d’intérêt aux enseignants (e)s et aux parents. Nous remercions les directeurs (trices) d’écoles, les enseignants (e)s, et les parents de leur aide précieuse. Enfin, nous remercions particulièrement les enfants pour leur enthousiasme lors de leur participation. Veuillez recevoir nos salutations cordiales.