Au printemps 1999 et durant l’année scolaire 2000, nous avons mené une étude portant sur l’acquisition de la lecture. Nous avons suivi un groupe d’enfants de la maternelle (Québec) ou du jardin (Ontario) jusqu’à ce qu’ils complètent la première année du primaire. Par la présente, nous aimerions partager les résultats de cette étude avec vous. Veuillez noter que seulement les enfants pour lesquels nous avions reçu l’accord des parents ont participé à l’étude.

Description des enfants

Nous avions recruté 137 enfants au départ et nous avons suivis 88 d’entre eux jusqu’à la fin de la 1e année. Les 88 enfants étaient tous francophones et le français était la langue parlée à la maison. Les résultats que nous décrivons ci-dessous portent sur ces 88 enfants.

Est-ce que certains élèves savent lire au printemps de la maternelle ?

Nous avons demandé aux élèves d’essayer de lire 5 mots familiers (par ex., lac, bol, fine). Ceci nous a permis de diviser les enfants en deux groupes que nous avons nommés les non-lecteurs et les apprentis lecteurs. Les non-lecteurs étaient ceux qui ne pouvaient pas lire de mots (60 élèves) ou bien pouvaient lire 1 ou 2 mots (6 élèves). Les apprentis lecteurs pouvaient lire de 3 à 5 mots (22 élèves dont16 qui pouvaient lire les 5 mots). Ainsi, une minorité d’élèves sait lire des mots familiers à la maternelle.

Est-ce que les non-lecteurs et les apprentis lecteurs diffèrent ?

Les non-lecteurs et les apprentis lecteurs avaient un niveau de vocabulaire semblable et étaient du même âge. De plus, nous n’avons pas observé de différences de niveaux d’éducation des parents ou de la fréquence de lecture de livres pour enfants entre ces deux groupes d’enfants. Cependant, les parents des apprentis lecteurs disent qu’ils leur arrivent souvent d’enseigner à leur enfant comment lire des mots tandis que les parents des non-lecteurs le font à l’occasion seulement. Il est possible que la différence de fréquence d’enseignement à la maison joue un rôle dans l’apprentissage de la lecture à la maternelle.

Il est intéressant de noter que les différences entre les non-lecteurs et les apprentis lecteurs se sont maintenues en 1e année. Ainsi, les apprentis lecteurs pouvaient lire et écrire plus de mots que les non-lecteurs durant l’hiver de la 1e année et à la fin de la 1e année. Par exemple, à la fin de la 1e année, les apprentis ont correctement lu 58% et écrit 51% des mots que nous leur avons présentés tandis que les non-lecteurs ont correctement lu 37% et écrit 32% des mots. Il semble donc que des différences individuelles entre les enfants s’établissent tôt et se maintiennent au moins durant la 1e année du primaire. Une étude future pourra déterminer si les parents des apprentis lecteurs continuent durant la 1e année d’apporter plus fréquemment un support à l’apprentissage de la lecture comparativement aux parents des non-lecteurs.

Nous nous sommes intéressées particulièrement aux non-lecteurs et les descriptions ci-dessous portent sur leur performance.

Quelles sont les connaissances de l’alphabet des non-lecteurs à la fin de la maternelle ?

En moyenne, les non-lecteurs pouvaient nommer correctement 20 des 26 lettres de l’alphabet. Il est intéressant de noter que certaines lettres étaient reconnues par moins de 80% (entre 61 et 79%) des élèves. C’était le cas pour les lettres K, P, T, U, Y, G et les minuscules m, r, j, w, f, et h. Les lettres reconnues par plus de 90% des enfants comprenaient A, C, Z et les minuscules o et x.

Quelles sont les connaissances des sons des consonnes et des groupes de lettres durant l’hiver de la 1e année?

Nous avons demandé aux non-lecteurs d’identifier les sons des consonnes et de groupes de lettres (par ex., ou, ch). Les enseignant(e)s ne seront pas surpris(es) d’apprendre que les sons b et d étaient correctement identifiés par moins de 70% des élèves. De même, le son de la lettre l était identifié par 61% des élèves, tandis que x et w demeurent difficiles (moins de 25%  de réussites). Les consonnes les plus faciles (c’est-à-dire, où le son est reconnu par plus de 85% des enfants) comprenaient n, r, f, s, et v.

Les pourcentages de réussites pour les groupes de lettres sont indiqués dans le tableau ci-dessous.

Niveau

% de réussites

Groupes de lettres
Plus faciles

80 à 91%

au, ou ch, oi, é, et un
Faciles

71 à 79%

on, an, en, in. et è
Difficiles

59 a 68%

eau, qu
Très difficiles

21 a 44%

eu, ain, ein, oin, gn

Quelles sont les capacités d’analyse phonologique des non-lecteurs à la fin de la maternelle ?

L’analyse phonologique est la capacité d’analyser les sons à l’intérieur des mots. Ainsi, nous savons que les petits perçoivent les mots globalement (comme un tout) tandis qu’à partir de 3-4 ans, les enfants commencent à pouvoir manipuler les sons des mots. Par exemple, on peut leur demander d’indiquer les sons qu’ils entendent dans le mot bac (les 3 sons ou phonèmes b, a, et k) ou de s’amuser à éliminer un son à l’intérieur d’un mot et dire ce qu’il reste. Par exemple, que reste-t-il lorsqu’on enlève le son k du mot clou ?

De nombreuses études confirment que les capacités d’analyse phonologique chez les enfants de la maternelle sont un des meilleurs predicteurs du succès qu’auront les enfants lors de l’apprentissage de la lecture. Présumément, l’analyse phonologique permet à l’enfant de mieux comprendre comment les lettres de l’alphabet représentent les sons de la langue parlée. Cependant, la majorité des études sur le rôle de l’analyse phonologique ont été menées auprès d’enfants anglophones. En fait, peu d’études démontrent clairement le rôle de l’analyse phonologique chez les petits francophones. Notre étude visait à palier à cette lacune.

Les élèves ont complété une tâche d’analyse phonologique à la fin de la maternelle et à la fin de la première année. La tâche consistait à éliminer un son à l’intérieur d’un mot et de déduire le mot restant (par ex., doigt sans le son d). À la fin de la maternelle, les élèves pouvaient réussir seulement 22% des items tandis qu’à la fin de la première, ils réussissaient 45% des items correctement. Cette augmentation confirme celle observée chez les petits anglophones. L’interprétation la plus courante pour expliquer ce gain est une interaction entre l’analyse phonologique et l’apprentissage de la lecture. L’analyse phonologique permet un apprentissage plus rapide du principe alphabétique (que les lettres représentent les sons de la langue parlée) et une plus grande connaissance de la lecture permet une analyse plus poussée des sons de la langue parlée.

Est-ce que les connaissances alphabétiques et l’analyse phonologique, mesurées à la maternelle,  prédisent les performances en lecture, mesurées un an plus tard?

Nous avons effectué des analyses très conservatrices qui nous ont permis de contrôler les différences de niveau d’éducation des parents, de l’âge des élèves, et de leur vocabulaire. De même, nous avons aussi contrôler les gains en analyses phonologiques qu’on fait les enfants lors de la 1e année. Ces analyses ont révélé que les connaissances alphabétiques ainsi que l’analyse phonologique mesurées à la maternelle prédisent le niveau de lecture des enfants un an plus tard.

À notre connaissance, ces données sont les premières à confirmer un rôle de l’analyse phonologique et des connaissances alphabétiques chez les élèves francophones. Ces données sont importantes car elles permettent de mieux comprendre comment se développent les différences individuelles en lecture.

Un dernier mot pour les parents et les enseignant(e)s.

Certains parents et enseignant(e)s se demanderont comment faciliter les capacités d’analyse phonologique chez leur enfant. Il semble —du moins chez les enfants anglophones— que les jeux de mots soient particulièrement bénéfiques à la croissance de l’analyse phonologique. Par exemple, l’apprentissage de comptines et de chansons qui incluent des rimes est une bonne façon de familiariser les enfants avec les sons de la langue parlée. On peut aussi inventer des jeux où il faut trouver le mot qui est semblable ou différent à partir d’une série de mots. Par exemple, quel est le mot d’entre chat, lac, et pot qui commence par le même son que pois. Ou bien, on peut faire des jeux d’allitération où les mots d’une phrase commencent tous par le même son (par ex., Valentin vitement va voir Valentine).

De même, certains parents se demanderont comment faciliter l’apprentissage de l’alphabet chez leur enfant. Premièrement, il est important de noter que l’apprentissage de l’alphabet fait maintenant partie intégrante du curriculum de la maternelle. Deuxièment, notre expérience auprès de nombreux parents révèle que les meilleures occasions pour l’apprentissage à la maison sont celles qui ont lieu naturellement. Par exemple, pourquoi ne pas profiter de la lecture d’un livre pour enfant pour introduire certaines lettres de l’alphabet.

En terminant, nous remercions sincèrement les enfants, leurs parents, les enseignantes ainsi que les directeurs(trices) qui ont participé à cette étude.