Le travail non rémunéré dans les organismes de bienfaisance canadiens : l’éléphant dans la pièce
Dans le secteur caritatif, « aller au-delà » n’est pas seulement une figure de style, c’est une réalité sur le lieu de travail. Partout au Canada, de nombreux employés rémunérés d’organismes de bienfaisance font des heures supplémentaires sans compensation ni congé en contrepartie. Les dernières données du Projet Canada Perspectives des Organismes de Bienfaisance (PCPOB) montrent à quel point ce travail non rémunéré est ancré dans le secteur et comment ses répercussions varient en fonction de la taille et du type d’organisme de bienfaisance.
L’année dernière, nous avons publié un article sur cette question, basé sur notre enquête de mars 2024. À l’époque, 53 % des organismes de bienfaisance ayant répondu à notre enquête nous avaient indiqué que leur personnel rémunéré effectuait régulièrement des heures supplémentaires non rémunérées. Les données de cette année s’appuient sur cet article et fournissent plus de détails sur les lieux et les raisons de ce phénomène.
Quelle est la fréquence du travail non rémunéré ?
Nous avons demandé aux organismes de bienfaisance quels étaient les services ou les fonctions qui exigeaient le plus souvent du personnel de faire des heures supplémentaires sans rémunération ni compensation en temps libre. Les trois premiers sont : la collecte de fonds, les communications et la prestation de programmes ou de services.
Un peu plus d’un tiers (38 %) des organismes ayant répondu ont déclaré que leur personnel ne faisait pas d’heures supplémentaires non rémunérées. 5 % ont déclaré ne pas avoir de personnel rémunéré et 2 % étaient incertains. Si l’on exclut ces deux groupes, les chiffres sont frappants : 60 % des organismes de bienfaisance ayant des employés rémunérés déclarent que leur personnel effectue des heures supplémentaires non rémunérées dans un ou plusieurs domaines de leur organisation.
Si quelques répondants semblaient confondre travail non rémunéré et accords de compensation en temps, la tendance générale reste claire : les heures supplémentaires non rémunérées sont courantes et font partie de la culture du travail.
Qui est le plus touché ? La taille et le type d’organisme caritatif ont leur importance
Le travail non rémunéré n’affecte pas tous les organismes caritatifs de la même manière. Nos conclusions montrent que les petites organisations sont beaucoup plus susceptibles d’y avoir recours.
Les organismes de bienfaisance dont les dépenses annuelles sont inférieures à 61 500 $ ont déclaré les taux les plus élevés de travail non rémunéré, tandis que ceux dont les dépenses sont supérieures à 229 000 $ ont déclaré les taux les plus faibles. Cette relation entre la taille de l’organisation et le travail non rémunéré est statistiquement significative X2 (2, N = 779) = 9,47, p = 0,0009.

Des différences apparaissent également entre les différents types d’organismes caritatifs. Bien que ces différences ne soient pas statistiquement significatives, X2 (7, N = 779) = 8,7, p = 0,275, les heures non rémunérées ont été légèrement plus nombreuses dans les organismes caritatifs axés sur les soins de santé, la religion et les arts.

Pourquoi le personnel travaille-t-il sans être rémunéré ?
Nous avons également demandé pourquoi le personnel travaillait sans être rémunéré. Les trois principales raisons sont les suivantes :
- Engagement envers la mission et les bénéficiaires (58 %)
- Manque de personnel ou de ressources (54 %)
- Contraintes budgétaires (50 %)
La première raison, « l’engagement envers la cause », est particulièrement élevée dans les organisations religieuses et communautaires et la plus faible dans le domaine des arts. Mais ces variations ne sont pas statistiquement significatives, X2 (7, N = 477) = 10,1, p = 0,182.

Cependant, les pressions structurelles ne peuvent être ignorées. Parmi les 54 % d’organismes caritatifs citant le manque de personnel comme raison pour laquelle leur personnel fournit un travail non rémunéré, cela était particulièrement fréquent dans les services publics, les arts et les organismes éducatifs, avec une signification statistique marginale X2 (7, N = 477) = 14,1, p = 0,005.

En ce qui concerne les contraintes financières, les secteurs des arts, de la santé et de l’éducation se distinguent particulièrement. Les contraintes budgétaires conduisant le personnel à fournir un travail non rémunéré étaient les moins importantes dans les organisations religieuses. Cette variation entre les organismes caritatifs ayant des objectifs différents est statistiquement significative X2 (7, N = 477) = 17,3, p = 0,016.

Pourquoi est-ce important ?
Le travail non rémunéré dans les organisations caritatives n’est pas un problème nouveau, mais il reste largement méconnu. Les résultats de notre enquête 2024 ont montré que les cadres supérieurs travaillaient en moyenne 35 heures non rémunérées par mois, ce qui équivaut à environ 60 jours de travail supplémentaires par an. Cela ne représente pas seulement une charge pour les individus, mais aussi un problème de viabilité pour l’ensemble du secteur.
Les données de cette année viennent confirmer cette tendance. Le personnel n’est pas seulement surchargé de travail. Il comble les lacunes créées par le manque de financement, les pénuries de personnel et les attentes systémiques selon lesquelles le travail caritatif implique des sacrifices personnels.
Cette question de capacité est liée au genre. On estime qu’environ 80 % de la main-d’œuvre des organismes sans but lucratif au Canada est composée de femmes, dont beaucoup sont issues de minorités ethniques, immigrées ou occupent des postes moins bien rémunérés. Le mouvement pour un travail décent de l’Ontario Nonprofit Network attire l’attention sur cette dynamique et milite en faveur d’un secteur où des salaires équitables, des avantages sociaux, la sécurité de l’emploi et des lieux de travail sains permettent à tous les travailleurs de s’épanouir. Le travail décent ne se résume pas à la rémunération. Il s’agit de changer les attentes, de lutter contre les inégalités systémiques et de construire un secteur qui valorise autant ses employés que sa mission.
Il est temps de prendre ce problème au sérieux.
Les organismes caritatifs ont besoin d’un soutien structurel pour lutter contre le travail non rémunéré. Cela passe par des modèles de financement plus durables, des charges de travail réalistes et une rémunération équitable. Les conseils d’administration et les directions doivent repenser leurs attentes vis-à-vis du personnel rémunéré. La passion ne devrait pas être une condition préalable au surmenage.
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