Stable sur le papier, tendue dans la pratique : la crise de la main-d’œuvre dans les organismes de bienfaisance canadiens
Le Projet Canada Perspectives des Organismes de Bienfaisance (PCPOB) mène des enquêtes hebdomadaires auprès d’organismes de bienfaisance canadiens afin de mieux comprendre les réalités opérationnelles auxquelles ils sont confrontés. L’une des tendances les plus évidentes qui se dégage de nos données pour 2024 est la suivante : les organismes de bienfaisance financièrement stables ont tendance à offrir de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. Mais ce n’est qu’une partie du tableau. Même dans les meilleurs scénarios, de nombreux organismes de bienfaisance qui jouissent d’une assise financière solide et n’ont pas à se soucier de leur viabilité à long terme continuent de recourir aux heures supplémentaires non rémunérées et sont confrontés à des problèmes de santé mentale croissants chez leur personnel.
Dans cette analyse, nous comparons les données relatives à la stabilité financière, à la viabilité à long terme, aux salaires, aux heures supplémentaires non rémunérées et aux problèmes de santé mentale du personnel et des bénévoles recueillies tout au long de l’année 2024.
Comparaison entre les organismes caritatifs très stables et instables
Parmi les organismes caritatifs qui se décrivent comme « très stables financièrement », près de la moitié (47 %) ont recours aux heures supplémentaires non rémunérées. Les cadres supérieurs de ces organisations effectuent en moyenne près de 24 heures supplémentaires non rémunérées par mois, tandis que les employés débutants contribuent à plus de neuf heures non rémunérées par mois. Sans surprise, plus de 60 % d’entre eux signalent une augmentation des problèmes de santé mentale parmi le personnel et les bénévoles.
Le recours au travail non rémunéré est encore plus marqué dans les organisations moins stables. Parmi les organismes de bienfaisance qui se décrivent comme « très instables financièrement », 72 % ont recours aux heures supplémentaires non rémunérées. Plus précisément, les cadres supérieurs effectuent en moyenne 63 heures supplémentaires non rémunérées par mois, tandis que les employés débutants en effectuent 20. Il n’est donc pas surprenant que près de 89 % du personnel signale une augmentation des problèmes de santé mentale.
Bien que les salaires soient légèrement plus élevés dans les organisations très stables financièrement, les postes de débutants ne rapportent en moyenne que 46 697 dollars, et ceux de cadres supérieurs 79 724 dollars. Imagine Canada rapporte que les salaires moyens dans le secteur à but non lucratif sont inférieurs de 13 % aux salaires moyens dans l’économie. Si l’on tient compte du nombre d’heures supplémentaires non rémunérées, bon nombre de ces salaires sont basés sur plus que le temps plein stipulé dans les codes du travail provinciaux.
Salaires moyens à temps plein :
| Stabilité financière | Postes de débutants ($) | Postes de niveau intermédiaire ($) | Executive-level positions ($) |
|---|---|---|---|
| Très stable | 46697 | 56566 | 79724 |
| Stable, mais avec quelques inquiétudes | 42153 | 53152 | 73593 |
| Neutre | 41574 | 52610 | 68422 |
| Quelque peu instable | 42175 | 53612 | 69392 |
| Très instable | 42209 | 47459 | 63413 |
(Les réponses inférieures à 20 000 $ ont été retirées de l’analyse, car elles reflétaient probablement des postes saisonniers à temps plein.)
Le contraste entre ces salaires met en évidence une réalité préoccupante : l’instabilité financière exacerbe la pression sur la main-d’œuvre, mais la stabilité financière d’une organisation ne garantit pas des conditions de travail équitables.
La durabilité doit inclure les personnes
Dans le secteur à but non lucratif, la durabilité englobe à la fois la stabilité financière et la capacité d’une organisation caritative à remplir sa mission. Mais une durabilité saine inclut également des conditions de travail équitables et sûres pour le personnel et les bénévoles. Une organisation caritative qui atteint la stabilité financière en s’appuyant sur un personnel sous-payé et surchargé de travail et sur des heures supplémentaires non rémunérées n’est pas vraiment durable. Ces organisations caritatives survivent aux dépens de leur main-d’œuvre.
Comme pour les données sur la stabilité financière, nos données sur les préoccupations en matière de durabilité à long terme montrent que les organisations caritatives qui se considèrent comme « pas préoccupées » ont tendance à offrir des salaires plus élevés que celles qui sont « très préoccupées » par leur stabilité, mais les défis liés à la main-d’œuvre persistent néanmoins.
Salaires moyens à temps plein :
| Stabilité financière | Postes de débutants ($) | Postes de niveau intermédiaire ($) | Postes de cadres supérieurs ($) |
|---|---|---|---|
| Oui, très préoccupé | 39844 | 50539 | 65768 |
| Oui, moyennement préoccupé | 42070 | 52223 | 69944 |
| Oui, peu préoccupé | 43482 | 54415 | 75164 |
| Non, pas préoccupé | 44710 | 54263 | 77570 |
(Les réponses inférieures à 20 000 $ ont été retirées de l’analyse, car elles reflétaient probablement des postes saisonniers à temps plein.)
Parmi les organismes caritatifs qui ne se soucient pas de la stabilité, plus de la moitié signalent encore des heures supplémentaires non rémunérées pour leur personnel. Les postes de niveau débutant fournissent en moyenne 12 heures supplémentaires par mois, et les postes de niveau cadre 32 heures. Près de 73 % de ces organismes caritatifs ont constaté une augmentation des problèmes de santé mentale chez leur personnel et leurs bénévoles.
Nos conclusions soulèvent une question cruciale : si la stabilité financière et la confiance dans la viabilité à long terme ne garantissent pas une rémunération équitable et des conditions de travail saines, quels sont les autres facteurs en jeu ?
Culture du travail et mythes sur la réduction des coûts
La réponse réside peut-être dans la culture même du secteur caritatif. Il existe une croyance de longue date, souvent tacite mais profondément ancrée, selon laquelle le travail dans ce secteur est une vocation plutôt qu’une carrière. Qu’il s’agit d’un « travail d’amour » qui doit être motivé par la passion et non par la rémunération. Cette mentalité dépassée et sexiste peut avoir des conséquences néfastes.
Le discours visant à maintenir les « frais généraux » à un niveau bas a conduit à une réticence à offrir des salaires compétitifs. Les donateurs veulent que leur argent soit directement affecté à « la cause », et non aux personnes qui effectuent le travail. Mais il s’agit là d’une fausse dichotomie : sans les travailleurs hautement qualifiés du secteur, il n’y aurait pas de programmes et de services caritatifs.
Il est temps de changer le discours pour privilégier le travail décent
La stabilité et la viabilité financières devraient servir de base à l’amélioration, et non au simple maintien, des conditions de travail. Les organismes de bienfaisance peuvent utiliser ces données pour plaider en faveur d’un financement qui soutient des salaires et des avantages sociaux décents et pour réformer la manière dont ils établissent leurs budgets. Les bailleurs de fonds et les donateurs doivent reconnaître qu’investir dans les personnes, c’est investir dans l’impact. Et en tant que secteur, nous devons remettre en question les normes culturelles du milieu de travail qui dévalorisent le travail et normalisent l’épuisement professionnel.
Pour plus d’informations sur les politiques relatives au travail décent dans le secteur à but non lucratif, consultez le site Web du Réseau des organismes sans but lucratif de l’Ontario (The Ontario Nonprofit Network) consacré au mouvement pour le travail décent (Decent Work Movement).
Remarque : dans toutes les analyses comparatives ci-dessus, les réponses « N/A » (non applicable) et « Je ne sais pas » ont été exclues.
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