Le plaidoyer des organisations caritatives canadiennes cinq ans plus tard
Les restrictions sur l’ » action sociale “ des organismes de bienfaisance canadiens ont été grandement assouplies en 2018 lorsque le gouvernement fédéral a modifié la Loi de l’impôt sur le revenu afin d’éliminer le test quantitatif visant à déterminer la part des ressources d’un organisme de bienfaisance pouvant être consacrée à des ” activités politiques ». Selon les directives qui ont suivi de la Direction des organismes de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada (ARC), les organismes de bienfaisance peuvent s’engager dans les activités relatives au dialogue sur les politiques publiques ou à leur élaboration (ADPPÉ), à condition que ces activités favorisent leurs fins de bienfaisance.
Les organismes de bienfaisance canadiens jouent-ils un rôle plus actif dans l’élaboration des politiques et l’action sociale à la suite de ce changement réglementaire radical ? Pour explorer cette question, le Projet Canada Perspectives des Organismes de Bienfaisance (PCPOB) a mené une série d’enquêtes en 2023-2024 afin d’évaluer l’état de l’action sociale dans le secteur et la façon dont il s’adapte au nouveau régime ADPPÉ.
Cinq ans plus tard, la situation n’a guère évolué
La plupart des organismes de bienfaisance canadiens ne s’engagent pas dans l’action sociale et il y a eu peu de changement au cours des cinq années qui ont suivi l’assouplissement de la réglementation. 43 % des organismes de bienfaisance ne signalent aucun changement dans leurs activités d’action sociale et 37 % notent que l’action sociale n’est pas pertinente dans le cadre de leur mission. Seulement 1 % ont fortement augmenté leurs activités d’advocacy, tandis que 5 % ont connu une certaine augmentation et 1 % une légère diminution dans le cadre des nouvelles orientations.
Moins de la moitié (42 %) des organismes de bienfaisance dans l’enquête du PCPOB de février 2023 (PCPOB 1.02.9 ; N = 695) ont indiqué qu’ils s’engageaient dans l’action sociale « pour changer les lois, les règles ou les programmes », tandis que 50 % ont dit qu’ils ne le faisaient pas. Lorsque nous avons posé la même question 18 mois plus tard, en juillet 2024 (PCPOB 2.07.27), il y avait eu une légère augmentation de l’engagement global dans l’action sociale, avec 50 % des organismes de bienfaisance (N = 795) impliqués dans des efforts d’action sociale, soit une augmentation de 8 %.
La raison principale pour laquelle les organismes de bienfaisance ne sont pas actifs dans le dialogue politique et le plaidoyer est qu’ils ne considèrent pas le plaidoyer comme pertinent pour leur mission (45 %). Les autres raisons principales d’éviter l’engagement politique se répartissent en trois catégories (PCPOB 1.02.9, février 2023) :
- D’autres organisations défendent leurs intérêts (36 %) ;
- Le manque de temps (29%), d’expertise (26%) ou de ressources financières (23%) ; et
- la crainte de perdre le soutien des gouvernements (13 %), des autres bailleurs de fonds (10 %) ou du public (8 %).
Notre enquête de février 2024 a renforcé les limitations de ressources (citées par 51%), mais elle a également mis en évidence deux autres défis : la difficulté à s’engager auprès des décideurs politiques (33%) et la difficulté à identifier les préoccupations d’autres organisations et à se connecter à des réseaux de plaidoyer plus vastes (20%).
« Nous avions l’habitude de nous impliquer davantage dans la défense des droits, mais le fait de travailler dur sans voir de changements politiques nous a poussés à recentrer notre énergie.
Il est intéressant de noter que 10 % – et un an plus tard, 12 % de nos répondants – ont invoqué la crainte d’enfreindre les règles de l’ARC, ce qui pourrait entraîner la perte du statut d’organisme de bienfaisance, comme raison de ne pas s’engager dans ces activités. Il s’agit d’une perception erronée de la réglementation actuelle qui ne s’est pas dissipée avec le temps. Cela suggère que de nombreux organismes de bienfaisance ne prêtent pas attention à leur environnement réglementaire et que l’ARC doit étendre l’éducation et la sensibilisation aux lignes directrices de l’ADPPÉ.
« En tant qu’organisation caritative, nous devons éviter les activités de plaidoyer, mais nous pouvons éduquer ou fournir des informations. Nous avons des difficultés car nous savons que nous devons faire attention à ne pas tomber dans le lobbying ».
« Nous avons besoin que le gouvernement comprenne les défis de notre secteur, mais nous avons peur de faire de l’advocacy ou du lobbying parce que nous ne voulons pas mettre en danger notre statut d’organisation caritative. Nous avons l’impression d’être entre le marteau et l’enclume ».
Comment participer à l’élaboration des politiques : Une boîte à outils limitée
La manière dont les organisations caritatives s’engagent dans le dialogue politique avec les gouvernements peut aller d’une approche passive à une approche plus activiste et mutuelle :
Passive : répondre aux demandes d’information et aux interactions informelles avec les fonctionnaires (par exemple, rencontrer les élus dans leurs circonscriptions) ;
Préparatoire : partager des recherches ; utiliser les médias sociaux et d’autres moyens de communication pour sensibiliser et/ou changer la perception des problèmes ; encourager d’autres personnes à agir ;
Lobbying : rencontrer les élus et les fonctionnaires, présenter des dossiers aux commissions parlementaires et plaider pour ou contre un programme ou une législation ;
La coproduction : travailler de manière continue et interactive avec les représentants du gouvernement en siégeant dans des conseils de planification ou des conseils consultatifs pour co-créer des politiques ou co-produire la mise en œuvre.
Bien que 48 % des organismes de bienfaisance canadiens indiquent qu’ils rencontrent officiellement (parfois, souvent ou toujours) des représentants du gouvernement, bon nombre de ces discussions portent sur l’obtention de subventions ou de contrats. En fait, elles servent l’intérêt personnel de l’organisation plutôt que de contribuer à l’élaboration des politiques publiques en général.
En général, les organismes de bienfaisance ont tendance à adopter des approches passives en matière de politique, notamment en répondant aux demandes d’information du gouvernement et en interagissant socialement avec les représentants du gouvernement. Seulement 22% indiquent qu’ils défendent parfois et seulement 4% souvent un projet de loi pour ou contre, et seulement 15% ont fait des présentations devant des commissions parlementaires. L’encouragement à l’action collective est également limité : seuls 26% encouragent leurs membres à contacter les décideurs politiques et seuls 22% publient des rapports de recherche susceptibles d’être utilisés par d’autres.
Action | Jamais ou rarement % | Parfois % | Souvent % | Toujours % | Total de certaines actions % |
---|---|---|---|---|---|
Passif | |||||
Répondre aux demandes d’information du gouvernement | 45 | 30 | 13 | 8 | 51 |
Interagir socialement avec les fonctionnaires | 53 | 32 | 11 | 2 | 45 |
Préparation | |||||
Diffusion de rapports de recherche aux médias, au public ou aux décideurs politiques | 72 | 17 | 4 | 1 | 22 |
Encourager les membres à écrire, appeler, faxer ou envoyer des courriels aux décideurs politiques | 70 | 20 | 4 | 2 | 26 |
Lobbying | |||||
Rencontrer officiellement des représentants du gouvernement pour leur parler de leur travail | 59 | 33 | 13 | 2 | 48 |
Discuter de l’obtention de subventions ou de contrats avec des fonctionnaires | 42 | 31 | 19 | 5 | 55 |
Présenter des observations écrites ou orales à une commission parlementaire | 80 | 12 | 2 | 1 | 15 |
Plaidoyer pour ou contre un projet de loi ou une autre déclaration/proposition politique | 76 | 18 | 3 | 1 | 22 |
Coproduction | |||||
Travailler au sein d’un groupe de planification ou de conseil comprenant des représentants du gouvernement | 60 | 23 | 11 | 2 | 36 |
En résumé, la participation des organismes de bienfaisance canadiens à l’élaboration des politiques est bifide : environ la moitié s’engage dans l’élaboration des politiques et l’autre moitié ne le fait pas. Dans le cas de la moitié des organismes qui s’impliquent d’une façon ou d’une autre, nous devons nous interroger sur le sérieux de cette implication, compte tenu de la gamme limitée d’outils de participation utilisés, en particulier ceux qui visent à influencer les politiques existantes.
Les organisations caritatives apprécient une plus grande participation à la politique.
Bien que la participation aux politiques puisse être limitée, une forte majorité d’organismes de bienfaisance (76 %) – y compris ceux qui ne sont pas actuellement actifs (juillet 2024) – affirment qu’il est important que leurs organisations augmentent leur participation aux ADPPÉ : seulement 12 % considèrent que ce n’est pas important, et 11 % ne sont pas sûrs ou n’ont pas d’opinion.
Lorsqu’on leur demande comment les organismes de bienfaisance pourraient militer pour des changements de politiques, ils préfèrent nettement l’établissement de relations et l’action collective par l’entremise de coalitions (PCPOB 1.04.19, avril 2023 ; N = 623). Un décalage entre les approches recommandées et les approches réelles est toutefois évident, car seulement 15 % des organismes de bienfaisance indiquent qu’ils rencontrent souvent des décideurs politiques. Il semble y avoir une ligne de démarcation entre les rencontres avec les représentants du gouvernement et le lobbying direct, car 69 % des organismes recommandent l’établissement de relations, mais seulement 39 % suggèrent le lobbying direct. Il existe également une distinction entre le partage de données, recommandé par 48 % des répondants, et la recherche sur les politiques (recommandée par 25 %). Cela reflète probablement un manque de capacité de recherche dans la plupart des organisations caritatives, puisque seulement 5 % d’entre elles indiquent qu’elles publient souvent des rapports de recherche.
Il est temps de sortir du froid
Malgré les arguments selon lesquels les organismes de bienfaisance ont l’obligation morale de participer à l’élaboration des politiques publiques, le secteur est largement critiqué pour avoir « perdu son sens de l’urgence, devenant trop docilement un pâle vaisseau pour la prestation de services ». Cette mollesse est souvent attribuée au « refroidissement de l’action sociale » créé par le gouvernement de Steven Harper. S’il est possible que le gouvernement Harper ait accentué ce refroidissement, nous ne pouvons pas nous contenter de remonter une décennie en arrière pour expliquer la réticence actuelle à défendre les politiques, une réticence dont les enquêtes du PCPOB montrent qu’elle existe.
Favoriser une participation significative des organismes de bienfaisance canadiens au dialogue sur les politiques va au-delà de la récente réforme réglementaire. En effet, les environnements organisationnel, financier et sectoriel dans lesquels évoluent les organismes de bienfaisance façonnent implicitement les décisions stratégiques visant à éviter la participation à l’élaboration des politiques.
Les barrières internes – manque de temps, d’expertise et de ressources – empêchent évidemment les organisations caritatives de s’engager dans le plaidoyer. Mais elles sont également limitées par la perception qu’elles ont d’elles-mêmes : le sentiment que l’engagement politique et l’action sociale ne sont pas pertinents pour leur mission. En outre, un organisme caritatif sur dix ne sait pas que la réglementation actuelle est très permissive en ce qui concerne l’étendue de l’action sociale autorisée. Malgré tous les discours sur la philanthropie fondée sur la confiance, les bailleurs de fonds, y compris les gouvernements, les fondations et les donateurs individuels, craignent que l’activisme ne leur fasse perdre leur soutien. Le manque de coordination et de collaboration du secteur lui-même entrave encore davantage l’engagement politique. Le secteur caritatif pourrait s’aider lui-même en partageant des informations sur les préoccupations politiques des organisations caritatives et en facilitant le renforcement des réseaux et des coalitions.
Enfin, les gouvernements rendent l’engagement difficile. Un dialogue et un développement politiques efficaces ne devraient pas être un processus conflictuel, mais un processus qui permet aux gouvernements d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques et des programmes mieux informés, plus rentables et plus adaptés aux régions et aux communautés. Les organisations caritatives sont particulièrement bien placées pour être des sources fiables d’informations de ce type, à condition qu’elles sortent de l’ombre.
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